Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
pasc
6 octobre 2006

ARAIGNEE + GANESH

«  Ces langues imparfaites en cela que plusieurs » MALLARME

Fragile, frêle, futile et malhabile j’ai tissé ma 1ère toile entre Les 2 pierres d’un muret .

Le fil en était un peu lâche et aucun moucheron ne s’y est laissé prendre. J’ai bien cru ne jamais pouvoir me sustenter .

J’arpentais inlassablement les contours de mon vaste monde –sans résultat – Les gouttes de rosée étaient mes seules compagnes , riantes . Je guettais le moment où elles allaient tomber faisant de mon piège une trampoline . Les fils alors s’entremêlaient et il me fallait une patience infinie pour les retricoter .

Je n’avais plus la notion  du temps- j’attendais – mes pattes légères me brûlaient ; je dansais sur des charbons ardents .

Nulle mouche-

Parfois une feuille-

Je décidai d’agrandir mon territoire  et tissais une seconde toile aux confins des volets .

Fière d’avoir élargi mon univers j’allais d’une toile à l’autre comme le vigneron va vérifier si les raisins sont mûrs et si le vin sera bon  .

J’ai appris à ne pas souffrir à la place de celui ou celle que j’avais fini par attraper – l’empathie ne m’eût rien valu .

Il fallait agir sans état d’âme ; ne pas me bercer d’illusions ni sur l’autre , ni sur moi-même . Eviter la mièvrerie  , le romantisme suranné et les sentiments à bon marché  .

Mes toiles sont devenues de plus en plus nombreuses et de plus en plus solides .

Je n’osais plus me regarder dans la glace ; en prenant l’esprit de l’araignée , je devais

aussi en avoir pris les traits .

Ne pas se retourner   - se brûler   la bouche et les pattes, ne jamais s’arrêter , ne pas sourire  et travailler sans relâche .

Si l’envie m’en prenait pourtant , parfois  , je posais les armes .

Un jour il m’est même arrivé de m’aventurer tout près du nid de la bergeronnette .

J’en ai admiré le tissage, entre les plumes et les brindilles : tout un jeu  de couleurs et d’entrelacs  subtil ; elle y avait même entrelacé des cheveux blancs – comme mes fils , ils scintillaient au soleil du soir .

J’enviais l’ovale de ses  œufs vert-pâle .

J’avais comme l’impression très forte que c’était ça la beauté .

Comment savoir ?

Cela me préoccupait de plus en plus et j’entrepris de me poster près du nid et de le con- templer  pour qu’il me livre ses secrets .

J’en oubliais de tisser, je m’oubliais moi-même, ravie par l’instant .

Je relâchais la garde et moi qui cherchais , je fus avalée tout cru , par l’oiseau !

PASC

_____________________________________________________________________________

T 2 =   Ganesh ou la remise en question . TEXTE de JULIETTE -

Je suis là, assis au milieu de la place de Bhaktapur,  comme un gros balourd, et j'essaye de prendre un air  intelligent . Je suis là depuis tant d'années, entouré  de Vishnou et Rama, qu'une bonne dose de saletés, de  crottes de pigeon et de restes d'offrandes diverses ne  pleuvent plus se décoller de mes pieds . Je suis là,  éléphant de pierre échappé du Ramayana et figé à  jamais sur cette charmante place, où se déroule tant  de festivités en mon honneur .
Je sens dans mes veines couler le sang des jungles où je n'irais plus flâner à l'aurore . Je sens
  la douceur des soirs où mes frères de sang se  baignent dans les eaux les plus magiques et les plus
polluées du monde . Je sens ces milliers de kilomètres  foulés par mes ancêtres . Je sens ces
villages défendus, envahis, détruits et reconstruits.
Je sens encore sur mon dos la valeur et le poids de  mes illustres maîtres .
Je sens, sans cesse, l'odeur de l'encens et des  bougies, l'odeur des crémations qui m'est devenue
insupportable . Je suis là, mais très las de toutes  ces bondieuseries, de toutes ces génuflexions, devant  moi qui ne peut même plus plier un genou . Tant  d'année assis sur mon gros derrière, dans cet  accoutrement ridicule, ces drapés encombrants, cette  ombrelle qui laisse désormais passer les rayons du  soleil. Tant d'années à ne savoir que faire de toutes  ces lamentations, ces confessions impudiques , ces  querelles de clocher.
J'ai vécu de beaux moments, des mariages, des  couronnements, de victorieuses épopées et me voici
aujourd'hui,la main droite perpétuellement levée,  comme si on m'avait chargé de faire la circulation sur  la grand place du temple. Mes oreilles sont brisées ,  fatiguées du son aigu des sitars, des roulements de  tablas incessants. Fatiguées d'écouter les devins, les  vendeurs de sornettes, les politiciens véreux de tout  le sous-continent.


Aujourd'hui, j'aspire à autre chose, mais je ne sais  plus quoi faire de mes vingt doigts. Je ne pourrais
même plus traîner quatre ou cinq troncs d'arbres même  pour rendre service à un ami. Ma trompe n'émet plus  qu'un son discontinu et rauque, . J'éternue sans cesse  au moindre courant d'air.


Je m'en veux surtout, d'avoir fait croire aux gens que je pouvais les guérir, les apaiser de leurs peines .
C'est vrai j'ai su les écouter en silence , et pointer  quelques traits signifiants dans leurs lamentations.
Je leur ai certainement ouvert des portes  ,spirituellement s'entend, bien entendu.
Mais comment ai-je pu consoler sans relâches ceux qui  venaient me parler de leurs morts . Comment ai-je oser  les absoudre de leurs crimes, de leurs coups bas .
  Au nom de quelle religion, me suis-je octroyé ces  pouvoirs? . Une religion de castes qui humilie et
terrasse les individus dés leur naissance. Aujourd'hui  à la veille de passer dans l'autre monde, j'ai honte  de moi . Je me suis trompé, trompé jusqu'au cou,  trompé jusqu'à la trompe.

J'ai vécu d'expédients. Au  lieu de courir la savane, de comprendre le sens  profond de la vie . Au lieu de suivre le chemin de mon  père et de ma mère, j'ai voulu faire le malin.

Lorsque  l'on m'a offert cette place de dieu vivant, j'ai été  lâche, j'ai accepté.
Certes j'ai eu un grand rôle politique, mais petit à  petit, la grande histoire du Ramayana m'a rattrapé et  gelé dans la pierre . Les siècles ont succédés aux  siècles et j'ai laissé faire . J'ai perdu mes racines,  mes frères . La plupart se sont éteints dans une très  grande solitude . Derrière les grilles d'un zoo à  New-York, , relégués dans des rôles de second –plan  dans des films Bollywoodiens, en support publicitaire  dans les rues de Bombay. Je n'ai pas levé un petit  doigt de pied pour arrêter cette roue de la vie  infernale . Je suis resté là, planté sur la place de  Bhaktapur,et là je mourrai . J'ai une requête à faire  à ceux qui liront ce témoignage : à mon enterrement
faîte plutôt jouer de la cornemuse .

          Votre serviteur, Ganesh.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité