ARAIGNEE + GANESH
« Ces langues imparfaites en cela que plusieurs » MALLARME
Fragile, frêle, futile et malhabile j’ai tissé ma 1ère toile entre Les 2 pierres d’un muret .
Le fil en était un peu lâche et aucun moucheron ne s’y est laissé prendre. J’ai bien cru ne jamais pouvoir me sustenter .
J’arpentais inlassablement les contours de mon vaste monde –sans résultat – Les gouttes de rosée étaient mes seules compagnes , riantes . Je guettais le moment où elles allaient tomber faisant de mon piège une trampoline . Les fils alors s’entremêlaient et il me fallait une patience infinie pour les retricoter .
Je n’avais plus la notion du temps- j’attendais – mes pattes légères me brûlaient ; je dansais sur des charbons ardents .
Nulle mouche-
Parfois une feuille-
Je décidai d’agrandir mon territoire et tissais une seconde toile aux confins des volets .
Fière d’avoir élargi mon univers j’allais d’une toile à l’autre comme le vigneron va vérifier si les raisins sont mûrs et si le vin sera bon .
J’ai appris à ne pas souffrir à la place de celui ou celle que j’avais fini par attraper – l’empathie ne m’eût rien valu .
Il fallait agir sans état d’âme ; ne pas me bercer d’illusions ni sur l’autre , ni sur moi-même . Eviter la mièvrerie , le romantisme suranné et les sentiments à bon marché .
Mes toiles sont devenues de plus en plus nombreuses et de plus en plus solides .
Je n’osais plus me regarder dans la glace ; en prenant l’esprit de l’araignée , je devais
aussi en avoir pris les traits .
Ne pas se retourner - se brûler la bouche et les pattes, ne jamais s’arrêter , ne pas sourire et travailler sans relâche .
Si l’envie m’en prenait pourtant , parfois , je posais les armes .
Un jour il m’est même arrivé de m’aventurer tout près du nid de la bergeronnette .
J’en ai admiré le tissage, entre les plumes et les brindilles : tout un jeu de couleurs et d’entrelacs subtil ; elle y avait même entrelacé des cheveux blancs – comme mes fils , ils scintillaient au soleil du soir .
J’enviais l’ovale de ses œufs vert-pâle .
J’avais comme l’impression très forte que c’était ça la beauté .
Comment savoir ?
Cela me préoccupait de plus en plus et j’entrepris de me poster près du nid et de le con- templer pour qu’il me livre ses secrets .
J’en oubliais de tisser, je m’oubliais moi-même, ravie par l’instant .
Je relâchais la garde et moi qui cherchais , je fus avalée tout cru , par l’oiseau !
PASC
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T 2 = Ganesh ou la remise en question . TEXTE de JULIETTE -
Je suis là, assis au milieu de la place de Bhaktapur, comme un gros balourd, et j'essaye de prendre un air intelligent . Je suis là depuis tant d'années, entouré de Vishnou et Rama, qu'une bonne dose de saletés, de crottes de pigeon et de restes d'offrandes diverses ne pleuvent plus se décoller de mes pieds . Je suis là, éléphant de pierre échappé du Ramayana et figé à jamais sur cette charmante place, où se déroule tant de festivités en mon honneur .
Je sens dans mes veines couler le sang des jungles où je n'irais plus flâner à l'aurore . Je sens
la douceur des soirs où mes frères de sang se baignent dans les eaux les plus magiques et les plus
polluées du monde . Je sens ces milliers de kilomètres foulés par mes ancêtres . Je sens ces
villages défendus, envahis, détruits et reconstruits.
Je sens encore sur mon dos la valeur et le poids de mes illustres maîtres .
Je sens, sans cesse, l'odeur de l'encens et des bougies, l'odeur des crémations qui m'est devenue
insupportable . Je suis là, mais très las de toutes ces bondieuseries, de toutes ces génuflexions, devant moi qui ne peut même plus plier un genou . Tant d'année assis sur mon gros derrière, dans cet accoutrement ridicule, ces drapés encombrants, cette ombrelle qui laisse désormais passer les rayons du soleil. Tant d'années à ne savoir que faire de toutes ces lamentations, ces confessions impudiques , ces querelles de clocher.
J'ai vécu de beaux moments, des mariages, des couronnements, de victorieuses épopées et me voici
aujourd'hui,la main droite perpétuellement levée, comme si on m'avait chargé de faire la circulation sur la grand place du temple. Mes oreilles sont brisées , fatiguées du son aigu des sitars, des roulements de tablas incessants. Fatiguées d'écouter les devins, les vendeurs de sornettes, les politiciens véreux de tout le sous-continent.
Aujourd'hui, j'aspire à autre chose, mais je ne sais plus quoi faire de mes vingt doigts. Je ne pourrais
même plus traîner quatre ou cinq troncs d'arbres même pour rendre service à un ami. Ma trompe n'émet plus qu'un son discontinu et rauque, . J'éternue sans cesse au moindre courant d'air.
Je m'en veux surtout, d'avoir fait croire aux gens que je pouvais les guérir, les apaiser de leurs peines .
C'est vrai j'ai su les écouter en silence , et pointer quelques traits signifiants dans leurs lamentations.
Je leur ai certainement ouvert des portes ,spirituellement s'entend, bien entendu.
Mais comment ai-je pu consoler sans relâches ceux qui venaient me parler de leurs morts . Comment ai-je oser les absoudre de leurs crimes, de leurs coups bas .
Au nom de quelle religion, me suis-je octroyé ces pouvoirs? . Une religion de castes qui humilie et
terrasse les individus dés leur naissance. Aujourd'hui à la veille de passer dans l'autre monde, j'ai honte de moi . Je me suis trompé, trompé jusqu'au cou, trompé jusqu'à la trompe.
J'ai vécu d'expédients. Au lieu de courir la savane, de comprendre le sens profond de la vie . Au lieu de suivre le chemin de mon père et de ma mère, j'ai voulu faire le malin.
Lorsque l'on m'a offert cette place de dieu vivant, j'ai été lâche, j'ai accepté.
Certes j'ai eu un grand rôle politique, mais petit à petit, la grande histoire du Ramayana m'a rattrapé et gelé dans la pierre . Les siècles ont succédés aux siècles et j'ai laissé faire . J'ai perdu mes racines, mes frères . La plupart se sont éteints dans une très grande solitude . Derrière les grilles d'un zoo à New-York, , relégués dans des rôles de second –plan dans des films Bollywoodiens, en support publicitaire dans les rues de Bombay. Je n'ai pas levé un petit doigt de pied pour arrêter cette roue de la vie infernale . Je suis resté là, planté sur la place de Bhaktapur,et là je mourrai . J'ai une requête à faire à ceux qui liront ce témoignage : à mon enterrement
faîte plutôt jouer de la cornemuse .
Votre serviteur, Ganesh.